Alors, sans doute, Dieu a ri…

Quand bien même nous n'avons pas très envie d'en parler, il y a une chose dont nous puissions être sûr : c'est qu'un jour nous mourrons, mais que nous ne savons pas quand cela arrivera. Je possède l'incroyable privilège d'avoir fait l'expérience de la venue de la mort et d'un ultime combat livré avec espérance pour que cela ne soit pas.

Tout a commencé par une migraine fulgurante qui explosait dans ma tête du côté gauche : jamais aucune céphalée n'était venue ainsi, donnant une douleur fulgurante mais supportable, avec une impression de montée en pression qui a duré l'éternité… de quelques secondes peut-être ? Mes études m'ont donné les rudiments d'anatomie qui me permettent de comprendre et de supposer les causes d'une douleur : et tout de suite j'ai compris que je venais de rompre un anévrisme. Immédiatement j'ai pensé à Thomas, le fils d'amis, mort ainsi à vingt ans et j'avais la sueur froide de penser qu'il n'y en avait plus pour moi que pour quelques minutes : il était donc inutile d'appeler des secours qui me trouveraient mort.

Dans le péril, la conscience s'avive et la pensée s'accélère. Avec l'immense chagrin de ne pouvoir dire adieu à tous, la question la plus forte était : que dois-je faire de ces cinq dernières minutes qui puisse être utile à tous les miens, ma femme et mes filles ? La venue de la mort n'avait en soi rien d'effrayant, c'était au contraire l'impression de l'imminence d'une grande rencontre, mais qui venait trop tôt : car c'est cela que je veux dire, la mort en venant n'apporte pas cette effroyable sensation d'anéantissement comme on l'imagine souvent dans un mouvement romantique; plutôt celle de franchir une porte que l'on ne repassera pas parce qu'il y a un « après ». Le sentiment de faire une nouvelle et dernière expérience de l'existence, le point ultime vers lequel la vie terrestre nous mène : j'étais tout près de ce point, la grande faucheuse détachait ma barque. La plus grande douleur n'est pas de s'apitoyer sur soi-même, mais de voir venir la séparation d'avec les siens.

Dans la compréhension limpide de ces instants pleins de sens, cette prière m'est naturellement venue : « Mon Dieu, que votre Volonté soit faite mais, s'il vous plaît, pas tout de suite …». Et Dieu lui-même a du rire car j'ai été exaucé. Dix minutes après, je vivais toujours et le « vieil homme » de la raison a repris le dessus sur l'émotion vraie : j'ai préféré croire que ce n'était qu'une migraine d'une nouvelle sorte puisque malgré la douleur je pouvais marcher, penser et j'ai pris une aspirine pour la faire passer.

J'ai passé la journée au lit et le lendemain, me sentant mieux, j'ai repris mes activités en retard : tout cela n'a duré que quelques heures dont je vous épargnerai le détail; mais lorsque j'ai repris conscience aux urgences de l'hôpital Boucicaut, la leçon de la veille m'est immédiatement revenue : c'est ainsi que j'ai pu dire à l'urgentiste que je pensais avoir un anévrisme et que cette femme, qui a eu la bonté de me croire, a été la première de tous ceux qui m'ont sauvé la vie. Elle a eu aussi le courage de passer deux heures au téléphone pour me trouver un scanner libre.

La force qui était en moi était de vouloir tout faire pour me sortir de ce mauvais pas et cela a été, au prix d'une convalescence de plus d'un an, de grandes incertitudes sur l'étendue des dégâts commis et d'une épouvantable angoisse pour mes proches. Cette force est venue d'être revenu à la vie dès les premières minutes : la barque qui nous emmène au delà s'est vraiment détachée de la rive, puis elle y est revenue. Cette expérience inqualifiable, que je crois s'être réellement produite, a donné un double sens à ma vie : comprendre vers quoi la vie nous mène quand elle atteint son terme et comprendre l'étincelante beauté de l'existence véritable, de la sensibilité et de l'affection partagée. Je n'ai plus peur de la mort puisque je l'ai presque été et je n'ai plus peur de la vie.

Voilà pourquoi je dois témoigner maintenant de cette grande vérité donnée par Dieu dans un sourire plein de simplicité.

Les corps momifiés du couvent des Capucins de Palerme en Sicile : ce ne sont que les nymphes bien paisibles de papillons qui nous ont ressemblé et qui, maintenant, volent ailleurs… En tous cas pas des zombies !

30 novembre 2002